On parle de plus en plus de l’anthropocène, dans et hors de la communauté scientifique. L’anthropocène, c’est un terme utilisé par les géologues pour désigner l’ère géologique dans laquelle nous vivons actuellement. Elle signifie plus ou moins « l’ère de l’Homme », c’est-à-dire l’ère dans laquelle on reconnait l’Homme comme une force géologique majeure, une force qui altère significativement et globalement la Terre.
Bien que ce terme soit de plus en plus utilisé, l’anthropocène n’est pas encore reconnue officiellement par les instances géologiques scientifiques comme une véritable ère géologique. En effet, pour être reconnue comme ère géologique elle doit satisfaire un certain nombre de critères, dont :
- Les changements à l’échelle globale doivent être détectables dans les matériaux stratigraphiques (roches, glaciers, sédiments marins)
- Un point de départ datable (qui marque également la fin de l’ère précédente) doit être identifié, tel qu’un changement soudain et marqué dans la composition chimique des strates géologiques. Par exemple, pour dater le passage du crétacé au paléogène, les géologues utilisent le pic d’iridium daté d’il y a 66 millions d’années, qui nous indique l’impact d’un météore sur la Terre, lui-même localisé en Tunisie.
Ce point de départ, en plus d’être précis et global, doit être accompagné de marqueurs secondaires dans les strates montrant d’autres changements largement répandus sur la terre survenant en même temps, comme la composition chimique ou les changements de faune (extinctions par exemple).
- 1610 : cette date correspond à un minimum de CO2 observé dans l’atmosphère. Pourquoi parler de CO2 en 1610 ? Les émissions de CO2, ça n’est pas depuis le 19e siècle seulement ? Hé bien non, car les humains déforestent depuis un petit moment déjà, pour faire de la place pour l’agriculture, ce qui a engendré une augmentation lente et progressive du taux de CO2 atmosphérique. Cependant, il y eut une diminution exceptionnelle du de 1550 à 1610. 1610 correspond en fait à la fin d’une période sordide : la découverte des Amériques par les Européens. Entre 1500 et 1600, les européens ont progressivement répandu guerres, épidémies, esclavagisme et famine chez les indigènes d’Amérique, ce qui a abouti à la disparition de 50 à 60 millions de personnes (en 1492 : 54-61 millions d’habitants estimés aux Amériques ; en 1650 : 6 millions). Ce chiffre sinistre correspond à près de dix fois celui de la seconde guerre mondiale. Ce génocide a induit la disparition de l’agriculture sur une bonne partie des Amériques, et en 100 ans les forêts se sont progressivement reconstituées, ce qui a inversé temporairement la tendance du carbone. On observe une diminution du taux de carbone atmosphérique jusqu’en 1610, à un taux minimum, avant que celui-ci ne recommence à croître.
- 1964 : à cette date correspond un maximum de carbone 14 dans l’atmosphère. Le carbone 14 est la version radioactive du carbone, et son pic en 1964, vous l’avez sûrement deviné, est dû aux multiples développements et essais des armes atomiques par plusieurs nations dans le monde (donc pas seulement les deux bombes larguées au Japon). Ce pic s’accompagne de nombreux autres marqueurs radioactifs résultant des tests de bombes atomiques à l’échelle globale. Il marque également les débuts de la « Grande Accélération » dans les changements majeurs induits par l’homme à l’échelle globale, à commencer par l’augmentation exponentielle des émissions de CO2.
Les auteurs de l’article soulignent que « l’évènement ou la date choisie comme le commencement de l’Anthropocène affectera les histoires que les gens construisent sur les développement des sociétés humaines. » Quelle que soit la date choisie entre 1610 et 1964, le symbole est sinistre : guerre, terreur et violence. Que cela soit un rappel embarrassant de ce dont nos sociétés sont capables pour guider nos choix sociétaux futurs.