On parle de plus en plus de l’anthropocène, dans et hors de la communauté scientifique. L’anthropocène, c’est un terme utilisé par les géologues pour désigner l’ère géologique dans laquelle nous vivons actuellement. Elle signifie plus ou moins « l’ère de l’Homme », c’est-à-dire l’ère dans laquelle on reconnait l’Homme comme une force géologique majeure, une force qui altère significativement et globalement la Terre.

Bien que ce terme soit de plus en plus utilisé, l’anthropocène n’est pas encore reconnue officiellement par les instances géologiques scientifiques comme une véritable ère géologique. En effet, pour être reconnue comme ère géologique elle doit satisfaire un certain nombre de critères, dont :

  • Les changements à l’échelle globale doivent être détectables dans les matériaux stratigraphiques (roches, glaciers, sédiments marins)
  • Un point de départ datable (qui marque également la fin de l’ère précédente) doit être identifié, tel qu’un changement soudain et marqué dans la composition chimique des strates géologiques. Par exemple, pour dater le passage du crétacé au paléogène, les géologues utilisent  le pic d’iridium daté d’il y a 66 millions d’années, qui nous indique l’impact d’un météore sur la Terre, lui-même localisé en Tunisie.

Ce point de départ, en plus d’être précis et global, doit être accompagné de marqueurs secondaires dans les strates montrant d’autres changements largement répandus sur la terre survenant en même temps, comme la composition chimique ou les changements de faune (extinctions par exemple).

 Les géologues se penchent donc de plus en plus sur la définition de l’anthropocène, et donc sur la définition de son point de départ. Un travail récent en fait la synthèse (Lewis & Maslin 2015). Pour résumer, parmi les points de départ candidats, deux dates ont été retenues :
  • 1610 : cette date correspond à un minimum de CO2 observé dans l’atmosphère. Pourquoi parler de CO2 en 1610 ? Les émissions de CO2, ça n’est pas depuis le 19e siècle seulement ? Hé bien non, car les humains déforestent depuis un petit moment déjà, pour faire de la place pour l’agriculture, ce qui a engendré une augmentation lente et progressive du taux de CO2 atmosphérique. Cependant, il y eut une diminution exceptionnelle du de 1550 à 1610. 1610 correspond en fait à la fin d’une période sordide : la découverte des Amériques par les Européens. Entre 1500 et 1600, les européens ont progressivement répandu guerres, épidémies, esclavagisme et famine chez les indigènes d’Amérique, ce qui a abouti à la disparition de 50 à 60 millions de personnes (en 1492 : 54-61 millions d’habitants estimés aux Amériques ; en 1650 : 6 millions). Ce chiffre sinistre correspond à près de dix fois celui de la seconde guerre mondiale. Ce génocide a induit la disparition de l’agriculture sur une bonne partie des Amériques, et en 100 ans les forêts se sont progressivement reconstituées, ce qui a inversé temporairement la tendance du carbone. On observe une diminution du taux de carbone atmosphérique jusqu’en 1610, à un taux minimum, avant que celui-ci ne recommence à croître.
An underwater nuclear bomb test shot in 1946
Un essai nucléaire sous-marin tiré en 1946

Les auteurs de l’article soulignent que « l’évènement ou la date choisie comme le commencement de l’Anthropocène affectera les histoires que les gens construisent sur les développement des sociétés humaines. » Quelle que soit la date choisie entre 1610 et 1964, le symbole est sinistre : guerre, terreur et violence. Que cela soit un rappel embarrassant de ce dont nos sociétés sont capables pour guider nos choix sociétaux futurs.